Par Autisme Belgique
À propos de la parution de son livre : “Troubles du Spectre de l’Autisme chez l’enfant : repérage précoce, dépistage et diagnostic” (Voir ici).
A.B. : Bonjour Dr Carlier, vous publiez aux éditions Mardaga le livre : « Troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant – Repérage précoce, dépistage et diagnostic » à destination des professionnels chargés d’identifier les premiers signes d’un TSA. Est-ce que cet ouvrage s’adresse à tous les professionnels de la petite enfance ? Médecins, pédiatres mais aussi : puéricultrices, enseignants ? (Sachant que les puéricultrices et les enseignants pourraient participer au dépistage).
S.C : Ce livre illustre en 3 parties distinctes le parcours idéal menant à un diagnostic formel de TSA : le moment de la surveillance développementale du très jeune enfant – propice à la détection des premiers signes (chapitre 2) – puis le processus de dépistage (chapitre 3) et enfin l’évaluation diagnostique des enfants et des adolescents (chapitre 4). Il s’adresse donc aux professionnels du monde médical et paramédical susceptibles d’être en contact avec des enfants sur le spectre de l’autisme mais encore non identifiés comme tels : les médecins et travailleurs de la première ligne de soin que sont les pédiatres, les généralistes, les infirmières pédiatriques, les PMS…, les médecins de deuxième ligne comme les pédopsychiatres, neuropédiatres, logopèdes, ou psychologues mais aussi les spécialistes travaillant dans les centres de référence autisme ; centres qui relèvent de ce que l’on appelle la troisième ligne de soin (diagnostic spécialisé).
Ces professionnels vont trouver dans cet ouvrage des conseils concrets et des références théoriques permettant d’améliorer les pratiques actuelles. L’articulation de ces 3 chapitres permet d’avoir une vue d’ensemble du processus d’identification des TSA plutôt que de se focaliser sur ce qui relève strictement de la profession ou la fonction de chacun.
Mais ce livre s’adresse aussi, bien évidemment, à tous les autres intervenants amenés à jouer un rôle dans la vie des enfants comme le personnel des crèches et des écoles. Il est évident que ces personnes passent énormément de temps avec les enfants et qu’elles sont, de ce fait, bien placées pour remarquer les signes qui interpellent. Elles trouveront dans cet ouvrage une description à la fois très précise et complète des premiers signes de TSA entre 0 et 2 ans puis un rappel des indicateurs à connaître pour un repérage chez les plus grands. Plus on (in)formera de catégories professionnelles différentes, plus on aura d’interlocuteurs à même de contribuer à abaisser l’âge du diagnostic qui reste, aujourd’hui encore, bien trop tardif.
A.B : Est-ce que cet ouvrage peut être aussi utile aux parents ?
S.C. : Bien que cet ouvrage n’ait pas été pensé pour s’adresser aux parents, ceux qui l’ont acheté disent y avoir trouvé des informations intéressantes voire des réponses à leurs questions. C’est vrai que les premiers chapitres redéfinissent la notion de TSA. Ils peuvent éclairer les parents sur le développement attendu d’un enfant et sur les éventuels signes de TSA à surveiller, et ce dans le détail. Mais le dernier chapitre est vraiment technique : il parle des tests spécifiques à utiliser, leurs interprétations, les pièges à éviter… ce qui va probablement s’avérer peu parlant pour des parents. Donc, un ouvrage pouvant être utile aux parents inquiets du développement de leur enfant et qui n’ont pas encore eu de diagnostic. Beaucoup moins intéressant pour les parents qui sont déjà plus loin dans leur parcours.
A.B. : Ne pensez-vous pas utile qu’une brochure sur les signes soit donnée aux parents dans les maternités, aux personnels des crèches, de l’enseignement ? Cela avait été envoyé aux médecins généralistes et pédiatres francophones de la fédération Wallonie-Bruxelles il y a quelques années par une opération de CAP48 avec l’Association de parents pour l’épanouissement des personnes autistes.
S.C. : C’est une excellente idée qui, comme vous le soulignez, a déjà été testée et est connue pour donner d’excellents résultats. Les médecins eux-mêmes nous disent qu’ils ne sont pas assez informés des signes des TSA ou qu’ils ne se sentent pas toujours à l’aise avec le fait d’évoquer ces signes avec les parents par peur de se tromper ou de les alerter pour rien. Les parents ne reçoivent aucune information au sujet des premiers signes d’autisme et doivent bien souvent se fier à leur instinct.
Quant au grand public, à force de campagnes d’informations diverses, il semble aujourd’hui plus sensibilisé aux troubles du spectre de l’autisme. Il reste toutefois énormément à faire pour que ces bribes d’informations deviennent de véritables références, connues et maîtrisées de tous.
Soyons clair : cette information doit se trouver facilement, sans avoir à la chercher ! Brochures ou posters placés en évidence devraient être disponibles dans l’ensemble des lieux de soins et d’accueil susceptibles de recevoir des enfants ou qui y sont dédiés. Cela comprend donc, au minimum, les hôpitaux, cabinets des médecins, locaux des consultations ONE et PMS, écoles maternelles, garderies… La France, depuis quelques années déjà, a inclus quelques items du M-CHAT (test de dépistage) dans le carnet de santé de l’enfant. C’est une initiative qui me semble également très intéressante car elle touche un maximum de personnes, parents comme professionnels.
A.B. : Souvent, les parents racontent la même errance diagnostique, ce qui prouve l’utilité de votre ouvrage. Cependant, ils sont parfois démunis après avoir reçu le diagnostic. Il existe des actions pour les renseigner comme Participate-Autisme, mais dont l’utilisation du site est assez complexe en raison de sa richesse (qui fait d’ailleurs l’objet de séances d’information pour expliquer cette utilisation), c’est pourquoi nous avons décidé d’élaborer le site Autisme-Belgique afin de faciliter l’accès à l’information. C’est aussi un site qui est actualisé quasi-quotidiennement, grâce aux bénévoles, ce qui est, sinon unique, fort rare. Ne pensez-vous pas qu’il serait bon, dès le diagnostic, de remettre une brochure aux parents, sur les ressources à leur disposition (professionnelles : santé, enseignement, paramédical, loisirs, emploi… comme associatives) ? Ceci serait d’ailleurs à faire pour nombre de troubles, handicaps et pathologies.
S.C : Avant de se pencher sur cette question, il faudrait se mettre d’accord sur le fait que l’annonce du diagnostic devrait être un moment en deux temps : celui de la confirmation du TSA, puis celui de l’information. Il est vrai qu’on a parfois tendance à tout organiser en une fois mais le temps des parents n’est pas celui des professionnels. Recevoir un tel diagnostic engendre bien souvent une foule de sentiments et d’émotions dont la gestion immédiate n’est pas toujours simple. C’est le moment des questions, de l’écoute. On voit bien que discuter en détails des aspects pratiques de la prise en charge et surtout des aspects administratifs (ex : reconnaissance du handicap au SPF/PHARE/AViQ/COCOF…, contributions, droits aux services spécialisées…), est juste trop lourd à intégrer à ce moment-là.
Cela n’empêche pas de donner des informations générales sur les TSA en fin de consultation (ex : les brochures de Participate, une liste de sites/lectures recommandés) pour que les parents aient le temps de les consulter à tête reposée. L’annonce diagnostique, en tout cas à l’HUDERF, est toujours suivie d’une rencontre avec l’assistante sociale quelques jours plus tard. C’est lors de cette consultation que l’on remet aux parents les listes de psychomotriciens/logopèdes/psychologues spécialisés tout comme les coordonnées des écoles qui conviendraient à l’enfant. Les parents sont également accompagnés dans les démarches administratives. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, rencontrer à nouveau les cliniciens pour d’autres informations sur les TSA et poser leurs questions. Ces informations sont donc disponibles et proposées aux parents mais elles le sont sous formes de liste distinctes qu’il conviendrait de regrouper dans une véritable brochure, plus large, qui contiendrait également tout ce qui touche aux loisirs, adaptés ou non, aux services de répit, services d’accompagnement…. Bref, une sorte de référentiel de l’autisme.
A.B. : Nous trouvons excellente l’idée d’aider au dépistage et au diagnostic, mais quid ensuite des interventions ? Nous manquons cruellement en Belgique de dispositifs d’interventions précoces comme l’unité APPI de l’Huderf.
Nous avons essayé de proposer un projet pilote en Wallonie d’unité fixe et mobile d’interventions intensives précoces, mutualisant les moyens de l’éducation, du médico-social et du sanitaire et s’inscrivant dans les projets de fonds européens pour la moitié du financement, un peu inspiré des Unités d’enseignement maternelle (UEMA) en France, mais adapté au système belge. Ces UEMA sont particulièrement performantes lorsque le cahier des charges est bien suivi, (ce qui n’est hélas pas toujours le cas), permettant à des enfants sévèrement atteints de réintégrer, pour la plus grande partie des élèves, l’enseignement ordinaire.
Malheureusement, si le projet a été chaleureusement accueilli à l’AViQ, le cabinet de la Ministre Désir n’a pas voulu y donner suite, malgré nos relances.
Cela dépend donc largement d’une volonté politique. Comment les associations et les professionnels peuvent s’unir pour se faire entendre de nos pouvoirs publics ?
S.C : La question n’est pas simple. Effectivement, la logique et mais surtout l’éthique voudraient qu’identifier un TSA chez des enfants ou des adultes n’a de sens que si des solutions de prises en charge existent. Mais l’expérience nous montre aussi que ce n’est qu’en informant les pouvoir publics des besoins existants que des écoles, projets ou encore formations spécifiques voient le jour. De toutes les manières, il est hors de question de laisser persister les situations d’errances diagnostiques. On se doit de faire mieux !
Question prises en charge, la Belgique est face à un paradoxe de taille : il y a encore 15 ans de cela, nous avions peu de solutions à proposer aux parents mais les personnes concernées par le TSA trouvaient généralement une réponse à leurs besoins, que ce soit sur le plan scolaire ou pour des interventions ciblées. Aujourd’hui, l’offre est plus vaste : les professionnels et intervenants spécialisés sont plus nombreux, de nouveaux projets et de nouvelles approches ont vu le jour comme le PACT ou le fait que l’unité APPI puisse maintenant suivre aussi quelques enfants à domicile avec la méthode Denver.
Sauf que le nombre de demandes a explosé et dépasse largement l’offre. Que ce soit pour trouver une école, un intervenant ou même bénéficier des services d’accompagnement, les demandes sont tellement nombreuses qu’il y des listes d’attente interminables, « partout et pour tout ». Les formations en guidance parentale viennent quelque peu pallier au manque de ressources professionnelles extérieures en replaçant la famille au cœur du dispositif de prise en charge. Mais la guidance parentale ne convient pas à tout le monde. Elle aussi est limitée en termes de disponibilités et s’avère parfois insuffisante face à certains besoins plus complexes nécessitant l’intervention de professionnels.
Jusqu’ici, les associations de parents ont déjà fait bouger pas mal de choses et les professionnels ne sont pas en reste quoi qu’on puisse en penser. Pour moi, il est indispensable qu’un partenariat soit établi entre parents et professionnels, ce qui a parfois manqué dans le passé. C’est ensemble que parents et professionnels doivent porter leurs revendications auprès du monde politique et unir leurs voix pour se faire entendre.